Atteindrai-je un jour les grands fonds marins, où j'ai vu un petit monsieur à lunettes souffler les bulles de mon destin? Arriverai-je à voler par mes propres moyens, comme je l'ai déjà fait plusieurs fois ? Arriverai-je à ce que le digne monde me tutoie ? Je voudrais faire oeuvre utile avant que mon corps ne s'évanouisse en débris subtils. Si la mort me fauchait en mes vingt ans comme elle a dix fois manqué de le faire, je voudrais au moins accomplir l'oeuvre de chair. Si au contraire je suis immortel, ce qui est plus vraisemblable, c'est que je serai devenu disque. Les petits enfants me feront tourner sur moi-même sans aucun risque, et les sillons de ma mélodie s'useront en perdant leur vie. Lorsque toutes mes paroles auront été entièrement mutilées, déchirées et recollées par les sourds, alors elles prendront une vie propre à elles et toute nouvelle.

Ce n'est point ce que j'ai dit qui importe, mais ce que l'on dira que j'ai dit. J'ai ouvert la porte : faites entrer le mage avec son habit, comme sur les images. Faites entrer le prince avec son collier de dents qui grincent. Faites entrer le patriote déçu avec son costume de cocu. Faites entrer l'haltérophile séduit qui rapporte le pain chez lui. Laissez aussi passer un courant d'air, pour enrhumer vos coeurs pleins de misère. Et Peau d'Fesse, laissez-le entrer, il ne vous fera plus de mal. Assez de messes ont été prononcées pour son crâne infernal. Et Antoine, laissez-le monter sur son air las pour qu'il atteigne l'étagère aux nougats.

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