Header image ANTOINE TUDAL  
 
 

Texte de Anne de Staël

13 Octobre 2007

L'oeil est le noyau visuel qui déploie son fruit "la vue", "ce qu'on voit" les choses et le monde.
Il porte à l'horizon et sa portée va jusqu'au point aveugle.
Et l'oeil, le "e" dans l'"o" propose aussi le trouble, la pierre jetée qui crée ses anneaux, ses ricochets d'une dimension qui s'ouvre comme celle d'un objectif. Alors ni "e", ni "o", ni oeil mais un "éclair" qui naît de la noix des paupières et qui livre en éclat ce que l'oeil ne pouvait capter.

J'étais très contente de voir combien tes photos tenaient sous cette coupole, la qualité des tirages.
Elles donnaient beaucoup de choses à penser. Elles allaient depuis leur visage clair et éclairé d'une tourmente de vie jusqu'à naître au coeur de la fibre d'un rondin de bois, et ces visages dans la tension d'un sentiment prêt à rompre, (le hibou - le personnage de Jérôme Bosch - la sorcière - la bougie) allaient jusqu'à la fournaise alluvionnaire qui les avaient inventés, et encore plus loin jusqu'à l'aile ( les grandes photos d'oiseaux ) qui les invitait à s'envoler. Alors l'air attisait le feu qui servait de torche au "Cheval d'Eau". Ces chevaux couraient si vite qu'ils semblaient en nage et rejoignaient le grand désert - grande photo du désert - où aucune de ces trois reines d'Egypte ne daignait du haut de leur orgueil de fleur, les regarder !

Tout est vif.
C'est le monde du feu qui crée ce portrait de Jérôme Bosch, c'est le même feu que celui qui existe dans la main des peintres et dans leurs yeux.
L'incandescence des braises est la même que l'incandescence de l'esprit des hommes.
Alors "au feu", sonne comme "photo", il n'y a qu'une seconde pour apparaître au coeur de disparaître. Le photographe donne l'impression qu'il a vu au moment de n'avoir rien vu. Alors sur cet équilibre précaire se crée la véritable image, eau-forte dont la douceur du mot même s'entend comme "mirage" ou moire.

Comme toujours quand les oeuvres s'incarnent dans la matière, fixent l'espace comme une flamme que le vent ne peut plus saisir, n'est-ce pas là, sublimé, un autoportrait du foyer où l'artiste s'est tenu toute sa vie ? Et le regard du hibou ou celui de la bougie, sommes-nous sûrs que ce n'est pas celui de l'homme que l'on voit de dos au bord du torrent ? Le dos comme une petite porte dans la nature, la seule qui sache ouvrir sur l'immensité d'un regard . . .

J'ai observé dans ma vie que tous ceux qui avaient un regard voulaient toujours être photographiés de dos. Les poètes sont plus contents s'ils sont de dos parce que le dos est la face la plus silencieuse pour entendre clairement l'esprit qui ne veut comme visage que celui de sa pensée . . .

Anne de Staël.

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