Header image ANTOINE TUDAL  
 
 

Tempo

Toujours dans le cadre de la recherche, j'eus envie de faire un film démontrant que le cinéma est avant tout un art du temps, et non pas un art de l'espace, comme on pourrait le croire en voyant des images qui évoquent plus la peinture, qu'un métronome.
Et pourtant, la seule chose qui compte c'est : " Le temps pour dire les choses ".
Donc, je racontais l'histoire d'une jeune monteuse de l'O.R.T.F, chargée de monter un film sur le temps. Tandis qu'elle assemblait ses rushes, elle découvrait qu'elle avait été elle-même filmée la veille, puis le jour même et qu'elle se voyait maintenant, à l'instant précis dans son écran de contrôle... puis elle se voyait demain, et dans dix ans, et finalement à quatre vingts ans, toujours à son poste en train de visionner des bouts de films, des morceaux de temps capturés. Elle murmurait inlassablement : "Le temps n'existe pas, le temps n'existe pas..."
Peut-être que seul le cinéma existe dans la mesure où il conserve le temps en l'état, alors que le temps lui, ne conservera pas le cinéma.
Cette émission fut diffusée, ce qui n'était pas le cas de tous les "travaux" du Service de la Recherche. A noter que la monteuse était interprétée par une jeune comédienne de talent, Bulle Ogier.

L'enchaînement

Je souhaitais attirer l'attention sur l'attraction magnétique qu'exerçait déjà la télévision sur les esprits, sans distinction de classe.
Nous étions en 1973 et encore bien des "esprits forts" prétendait pouvoir s'en passer, laissant ce divertissement populaire attirer les gogos.
J'avais choisi de montrer une famille des beaux quartiers de Paris. Le père, P.D.G. d'une grande entreprise, familier des ministres, s'était rendu compte que sans la télévision, il manquait sérieusement de sujets de conversations avec ses proches collaborateurs. Et puisque le premier personnage de l'Etat a sa loge aux tribunes des grands matchs sportifs, il lui fallait bien, lui aussi, s'accorder aux exigences de son époque.
Notre héros chargeait sa femme de veiller à ce que l'installateur du tout nouveau poste de télévision s'acquittât au mieux de son travail, et que le soir même, il puisse enfin venir dîner devant le match qui faisait jaser toute la France depuis une semaine.
Lorsque le film commence, l'écran de télévision envahit tout l'espace. Pendant cinquante deux minutes on ne verra plus que lui... On entendra seulement les voix du père, de son épouse et de leur fille adolescente profondément révoltée contre la société de consommation.
Quant à la télévision, c'est seulement après dix minutes d'angoisse, qu'elle acceptera de donner autre chose que de la neige. Plusieurs programmes s'introduiront dans ce cossu foyer mais pas le match attendu comme si le Malin s'était emparé des boutons du poste, afin de démontrer qu'il ne suffit pas d'acheter l'appareil ; il faut aussi lui vendre son âme et toute son attention, au détriment de son équilibre familial voire de sa santé mentale.
Le comble sera même atteint quand un reportage en direct sur les coulisses d'un très grand restaurant parisien, montrera le Chef en train d'écouter sur un petit transistor la retransmission du match que notre poste refusait obstinément de diffuser à cette famille.
En l'espace d'une heure, ils vont se déchirer à tout jamais, tandis qu'un intervieweur demandera à l'image du scénariste ( donc la mienne ) quarante fois répliquée sur des écrans de magasin, quel est le secret du désenchaînement à cet appareil qui va probablement faire dévier le sort de l'humanité.
Le film se terminait par une chanson de Gainsbourg : "Telle est la télé".
Comble de l'ironie, après avoir eu une excellente critique dans le "Monde" écrite par Claude Sarraute lors d'une présentation à la presse, l'émission fut déprogrammée le 31 décembre 1973 pour cause de grève et ne fut jamais rediffusée : le lendemain l'ORTF disparaissait !

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